L'arrivée et l'installation durable de la cour pontificale en Avignon marquent à jamais le destin de la cité provençale. Pourquoi les papes s'installent en Avignon en ce début de 14ème siècle ? Qu'est-ce qu'ils y fait ?
Une introduction sur une situation politique d'une époque bien complexe mais passionnante, et une biographie des papes et antipapes qui se sont succédés en Avignon éclaireront un peu votre lanterne.
Introduction : la Papauté au début du 14ème siècle
sceau de Robert de Mondragon - XIIème siècle -
un vassal rend hommage à son suzerain
archives nationales, Paris
Après le règne de Charlemagne, le pouvoir politique centralisé
s'est inexorablement emmietté au profit d'une multitude
de potentats locaux, les seigneurs féodaux.
La Féodalité thriomphe au 10ème et 11ème siècle, le christianisme en est le fondement spirituel et l'Eglise occupe la place laissé vacante par l'effacement de rois sans réels pouvoirs. Le prestige de l'Eglise et de son chef, le pape, atteint son apogée avec les Croisades, au 11ème et 12ème siècle, que ses richesses permettent de financer et d'organiser.
Le pape, souverain spirituel de la Chrétienté catholique, est aussi un souverain temporel. Il possède et administre à son profit des territoires, les Etats pontificaux en Italie et le Comtat Venaissin en Provence.
le pape Clément IV
remet le royaume de Naples au comte de Provence Charles
d'Anjou -
fresque de la Tour Ferrande à Pernes les FontainesForte
des succès des Croisades, l'Eglise tente d'imposer
en Occident une théocratie en soumettant les rois à
sa volonté.
Mais les temps changent. Les templiers n'ont pas pu empêché la perte de la Terre Sainte. Les papes se heurtent au pouvoir croissant des souverains des grands royaumes d'Occident : le Saint Empire romain germanique, la France et l'Angleterre. Pendant le 13ème siècle, une lutte sans merci entre guelfes (partisans du papes) et gibelins (partisans de l'empereur germanique) déchire la peninsule italienne morcelée. Le chaos politique est tel que le pape, craignant pour sa sécurité réside rarement à Rome où il est à la merci des factions qui se partagent la ville.
A la fin du 13éme, le pape a évincé les héritiers de l'empereur Frédéric II des royaumes de Naples et de Sicile, avec l'aide de son allié fidèle le Comte d'Anjou et de Provence, désormais roi de Naples, mais l'Italie reste incontrôlable.
Philippe IV le bel, roi de France
le pape Boniface VIII
À l'intérieur de l'Eglise, le pape se heurte à
une opposition interne, dont les ordres mendiants et à
leur tête les franciscains sont les principaux propagateurs.
Ils prêchent un retour vers un christianisme originel,
critiquent la richesse et la corruption de l'Eglise. Simonie
et népotisme sont il est vrai pratique courante dans
l'Eglise souvent au plus haut de sa hierarchie.
Une grave crise oppose maintenant le pape Boniface VIII et le roi de France Philippe le Bel. Ce dernier, s'opposant à toute ingérence du pape dans son royaume, a l'audace d'envoyer une petit troupe de chevalier menés par Guillaume de Nogaret, avec pour mission de ramener le pape en France pour le juger. L'entreprise échoue finalement, Boniface VIII résiste mais il est giflé par un chevalier. "L'attentat d'Agnani" provoque un scandale énorme dans la Chrétienté et la papauté sort discréditée. Boniface VIII meurt peu après et le choix de son successeur par le concile des cardinaux s'avère crucial.
Les sept Papes d'Avignon
La Grand Schisme d'Occident
enluminure représentant le couronnement d'un pape d'Avignon
14ème siècle
- bibliothèque nationale
A sa mort, Grégoire XI semble avoir définitivement ramené la papauté à Rome, et il a pacifié
des Etats en ébullition. La paix est cependant bien relative
et le conclave des cardinaux qui se réunit au Vatican pour
élire un nouveau pape sera le détonateur d'une des
plus graves crises de la Chrétienté : le Grand Schisme.
Le Collège des cardinaux comporte une majorité de français, eux-même divisés en deux clans. La populace romaine, craignant qu'un pape français ne s'en retourne en Avignon, se rassemble autour du conclave et exige l'élection d'un pape italien. La foule menaçante effraie les cardinaux si bien qu'ils élisent sous la pression Barthélemy Prignano, l'archevêque de Bari, qui prend le nom d'Urbain VI et est intronisé en avril 1378.
Les deux antipapes d'Avignon
Conclusion : un siècle de papauté à Avignon
Le poète Pétrarque comparait le séjour des papes en Avignon à un "exil en Babylone", en soulignant le luxe, et la luxure, dans laquelle se complaisait la cour pontificale, signifiant aussi que la papauté était prisonnière du roi de France. Les historiens, à la suite de Pétrarque, ont longtemps méconnu la période des papes en Avignon, la considérant comme une période de décadence pour l'Eglise.
Il est vrai que Clément V, premier pape d'Avignon n'eut guère les moyens ni le caractère pour résister à de Philippe le bel. Ses successeurs furent cependant moins complaisants envers la monarchie française. Si les papes choisirent de résider en Avignon, aux portes du royaume de France, c'est qu'ils renforçaient ainsi le rayonnement et l'autorité de l'Eglise sur la Chrétienté. Ils intervenaient constamment dans les conflits et arbitrant les litiges entre grands souverains de l'Europe. En contrepartie, le roi de France renforçait son prestige en se présentant comme le protecteur de l'Eglise.
Les papes Benoît XII et Clément VI enracinèrent la papauté en Avignon en bâtissant le Palais des papes. Le pape Clément VI "le Magnifique" est déjà un "Prince de l'Eglise " annonciateur des papes de la Renaissance. Mais lorsque le roi de France se révèle incapable de protéger leurs successeurs des exactions des routiers, les papes s'efforçèrent de ramener la curie à Rome, provoquant malheureusement le Grand Schisme d'Occident.
Le Grand Schisme perdura près de 40 ans, à cause de la faiblesse des grandes puissances. La France et l'Anglmeterre étaient engluée dans la Guerre de 100 ans. Le problème fut résolu grâce à l'énergie et à la volonté de l'empereur Sigismond.
Les papes d'Avignon étaient français certes, mais méridionaux, parlant la langue d'Oc. Certains se sont révélés de grands papes : Jean XXII, Benoît XII, Urbain V furent des réformateurs et leur objectif était le bien de l'Eglise. Ils luttèrent âprement pour son unité, contre les hérésies nombreuses et les franciscains dont les thèses d'un retour à une eglise "primitive" préfigurent la Réforme protestante.
Ils ont tenté sans grand succès de maintenir la paix entre les grandes puissances européennes. Leur autorité morale atteint là ses limites, le pape dispose des richesses de l'Eglise mais ses moyens militaires sont subordonnés au bon vouloir des souverains chrétiens. Les papes d'Avignon se trouvent à une période de transition délicate entre un modèle féodal déclinant et les Temps modernes en gestation.
Il est difficile d'imaginer aujourd'hui ce que fut Avignon au temps des papes : une ville cosmopolite débordante de vitalité, en perpétuelle construction. On estime à 40 000 la population maximale d''Avignon, ce qui en fit une des principales villes occidentales du 14ème siècle. Les papes recevaient des ambassadeurs des royaumes l'Europe, et de plus loin encore. On y parle la langue d'Oc, l'italien, le français. Les cardinaux y tenaient des cours fastueuses, attirant courtisans, marchands, quémandeurs de toutes origines, mais aussi les artistes et les intellectuels européens. Avignon des papes est un creuset où le carcan des valeurs médiévales traditionnelles est remis en question. Le germe de la culture humaniste est planté, il s'épanouira en Italie au siècle suivant.